Lu
dans le délicieux livre de Denis Lalanne, Le grand combat du XV de France
(quand la France fit sa première tournée en Afrique du Sud, dont elle sortit
victorieuse) :
« (…)
Car les gens de l’International Board, quoiqu’on pense, ne veulent pas ‘snober’
le petit mécano pyrénéen ou le gros viticulteur catalan qui se passionnent pour
ce jeu ; ils ont seulement le cher souci de le préserver des
propriétaires-maquignons s’entourant à l’ère moderne de fabricants de
champions, entraîneurs patentés et techniciens de laboratoire qui pourraient
dénaturer le ‘sport-roi’ ainsi qu’il est aujourd’hui advenu de tant d’autres
sports qui étaient naguère amusants. Autre chose est de cultiver la tradition
du cher vieux ‘football-rugby’. »
Les marchands dans le temple
Ces
lignes ont été écrites en 1958. Les choses ont beaucoup changé depuis. L’IRB
s’ingénie désormais à répandre le professionnalisme partout, se couche devant
un magnat des médias qui réclame toujours plus de matchs pour la publicité… Il ressemble de
plus en plus aux instances dirigeantes du football et des JO, où les affaires
ont pris le dessus sur toute autre considération.
-- Sans
vouloir tomber dans le grognonisme automatique, force est de constater les
effets lamentables de la professionnalisation du rugby. Le moindre d’entre eux
n’est pas la multiplication des matchs, qui enlève l’attrait principal des
rencontres internationales.
Mais le plus important est sans doute le moins
visible. Fini le « sport de voyous pratiqué par des gentlemen », phrase
ressassée, certes, mais qui éclairait en profondeur ce qu’était l’aristocratie
rugbystique. Désormais, on forme des bébés rugbymen que l’on suit dès
l’adolescence. Tapis déroulé, sans avoir à pratiquer un autre métier que
« jouer au rugby » ; les nouveaux joueurs sont devenus humainement
quelconques, voire médiocres.
A quoi fallait-il s’attendre d’autre, à partir du
moment où l’on donne des fiches de salaire et des points-retraite à ceux qui ne
font que pratiquer leur passion sportive ?... (Ce
n’est d’ailleurs pas un hasard si les arbitres sont obligés de parler beaucoup plus
qu’avant sur les terrains)
Les affaires contre le rugby français ?
-- Dans
les clubs, l’impact du professionnalisme est brutal. Il existe désormais une
saison des transferts, et il n’est pas rare de voir des joueurs changer de
ville tous les ans (sauf, évidemment, à Toulouse). Voilà qui éclate ce sport
enraciné.
En France, le professionnalisme est – comme la mondialisation –
particulièrement violent. Il n’est pas rare que la moitié des effectifs
des équipes premières soit étrangère. Certains clubs lancent même des partenariats
avec les îles du Pacifique, où, pour une bouchée de pain, l’on peut dégoter des
colosses talentueux. Ils essayent de fidéliser au plus jeune, affirmant (mais y
croient-ils vraiment ?) que le sentiment d’appartenance à un club peut
être aussi fort que l’appartenance à un peuple.
Politique
déracinée de gestionnaire, qui est bien plus avancée dans notre pays qu’elle ne
l’est en Grande-Bretagne ou dans l’hémisphère sud...
-- L’argent
étend ses ramifications partout. L'ex président de la Ligue nationale – l’homme
d’affaires Serge Blanco – ne vient-il pas de déclarer que, au cas où il
prendrait la tête de la Fédération française, il interdirait à des clubs de
monter dans le top 14 s’ils n’avaient pas un budget minimum, ainsi qu’un stade
moderne avec un certain nombre de places ?
On a
laissé les marchands entrer dans le temple ; il va bien falloir, un jour,
songer à les en déloger…
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