mardi 15 mars 2011

Quelque chose ne tourne vraiment pas rond...

         Nous nous réjouissons pour les italiens de cette victoire si précieuse contre le Quinze de France (21-20), de la joie qui les a envahis au coup de sifflet final. Plus les minutes passaient, plus le dénouement se devinait. Il est des atmosphères particulières qui en disent plus sur le résultat final d’un match très serré que l’analyse de la rencontre. Il planait samedi après-midi à Rome cette ambiance particulière de l’exploit, car le public italien – qui mûrit dans sa connaissance du rugby – savait que c’était possible, et les chefs du Quinze d’Italie (Bergamasco en premier lieu) affichaient une posture à la fois humble et conquérante.


        Une mécanique psychologique qui se dérègle

     De notre côté, la défaite est révélatrice de beaucoup de problèmes profonds. Jusqu’à samedi dernier, les matchs en Italie nous avaient toujours bien réussi. Depuis dix ans, l’équipe de France y montrait une belle envie de jouer et de vivre son rugby, y inscrivant plus de quarante points en moyenne et de nombreux essais. Cette régularité dans un rugby plein d’allant n’était pas anodine : la douce ambiance de Rome, la tranquille légèreté qui baigne ce stade Flaminio à taille humaine, l’absence de pression, conviennent parfaitement à notre caractère. Les Français ne sont jamais aussi bons que quand ils se sentent libres, ne ressentent pas trop de pression et gardent le goût de la vie. Les déplacements à Rome nous offrent cela, contrairement aux pénibles France-Italie à Paris.
Si cette belle mécanique s’est autant déréglée, c’est que quelque chose ne tourne vraiment pas rond…

     Au risque de nous répéter, les changements fréquents voulus par les sélectionneurs depuis trois ans, les choix illogiques, la politique du « joueur en forme du moment » ne permettent pas de construire une équipe. Nous pensions avoir vu le pire avec Bernard Laporte, mais son successeur le surpasse en ce domaine. Il cède ainsi à l’air du temps, ou plane avec : cette dictature de l’immédiateté, cet état d’urgence permanant, qui n’est que la marque d’une absence de sérénité psychologique, cette incapacité à construire tranquillement.
   Plus grave, la politique actuelle mène aussi à la médiocrité. Ainsi, des joueurs d’exception – tant sur le terrain qu’au niveau de l’esprit – seront traités de la même manière que des petits nouveaux qui doivent faire leurs preuves, ou que des joueurs moyens. Or, si les êtres humains ont les mêmes droits, ils ne sont pas égaux, des têtes ressortent toujours du lot et un sélectionneur doit savoir les reconnaître. Mais l’époque est à l’uniformité et au règne sans partage du présent.


       Dictature de l'immédiat et absence de psychologie     

      Nous nous étions étonnés, avant les tournées d’Automne, de ne pas voir figurer dans le groupe certains trois-quarts toulousains d’exception (Heymans, Clerc…), et avions noté la réaction du perspicace Alain Penaud, qui s’était plaint de l’infantilisation provoquée par les discours et la politique de Marc Lièvremont. Depuis, les bisbilles constatées entre le sélectionneur et certains joueurs n’ont fait que renforcer le malaise, et la dernière conférence de presse rend les choses évidentes : ce sélectionneur, ainsi que les instances dirigeantes du rugby national qui l’ont désignées, ne traite pas les joueurs en tant qu’hommes, il les considère comme ses « garçons » et joue à faire de l'ironie mal placée quand un résultat lui déplait (« Vous croyez qu’ils sont capables de s’autogérer ?... » asséné avec un petit air narquois après la défaite). Venant d’un « garçon » de quarante ans qui n’a pas de grands résultats à son actif dans sa courte carrière d’entraîneur, cette attitude a de quoi étonner…

     La faillite des instances dirigeantes du rugby national laisse une désagréable impression de gâchis. Car le vivier français est extraordinairement riche, et il y a aujourd’hui davantage de rugbymen accomplis que sous l’ère Laporte.  Quand on voit les qualités morales et l’esthétique d’un joueur comme Aurélien Rougerie, qui a pleinement assumé son poste de second trois-quarts centre après y avoir été brutalement parachuté, on se demande comment ce joueur a manqué tant de rencontres du Quinze de France ces dernières années. Pêle-mêle viennent à l’esprit les « sanctions » infligées aux toulousains cités plus haut, mais aussi l’écartement des Beauxis, Picamoles, Bastareaud ou Millo-Chluski, tous ayant d’évidentes graines de champion en germe. Et c’est sans compter les joueurs fréquemment « déselectionnés » (Harinordoquy, Chabal…), qui sont au sommet de leurs carrières. Oui, il y a de belles choses à faire et la direction de l’équipe de France gâche le potentiel tricolore.

     Les problèmes du sélectionneur actuel ne sont que l’avatar d’un mal qui touche les instances fédérales, et plus en amont, la société. L’absence de sérénité, le culte de l’immédiateté et la volonté d’uniformisation sont un trait de l’époque. Si nous attendons avec impatience la nomination d’un Berbizier ou d’un Novès à la tête des Bleus, nous doutons que cela puisse arranger tous nos maux. Les yeux braqués sur un seul homme ne sied guère à notre état d’esprit. Une pression énorme posée sur une autre équipe de France comporterait même le risque de détruire davantage notre confiance si les évènements tournaient mal.


           Un mal psychologique profond dans les instances fédérales ?

     Certes, au regard de la qualité de ses joueurs, l’équipe de France montrera sans doute de belles choses à l’avenir, peut-être même durant la coupe du monde, ce qui ne manquera pas de surprendre les observateurs étrangers.
Cependant, tant que règnera dans la fédération le culte tout républicain de l’instant et de la « nouveauté toujours renouvelée » (qui n’en ignore pas moins la Res Publica, la chose publique, tout occupés que sont ses dirigeants à faire régner leurs petites envies ou idéologies personnelles), tant que la politique de table rase dominera les esprits, il n’y aura ni bonheur ni victoire durable.

    Symbole de ce mal idéologique profond qui ronge nos instances, la proposition du président de la fédération – Pierre Camou – de créer des provinces en France, au moment même où le championnat de clubs connaît ses plus grands succès tant auprès du public que des joueurs étrangers. Vous avez dit destruction ?

    Une solution ? Peut-être lier davantage les grandes décisions pour le rugby national à la vie des clubs. Laquelle, en dépit d’un professionnalisme clairement déstabilisant (comme à chaque fois qu’apparaissent des histoires d’argent), représente le rugby français dans toute sa richesse et, en partie, sa sagesse.

Tournoi : le retour de la logique

   
      Après une deuxième journée bizarre, la troisième journée du Tournoi avait consacré le retour de la logique. Le quatrième volet confirme les évolutions profondes de chacune des nations engagées.

   --  L’équipe d'Angleterre continue de se construire, ses nouveaux talents montent en puissance et prennent confiance. Il lui manque des qualités dans le jeu au pied et un peu de génie au niveau des trois-quarts centre, mais, avec l’immense gâchis que constitue la gestion de l’équipe de France (voir plus haut), elle se révèle incontestablement être la meilleure équipe de l’hémisphère Nord.

  --  L’Angleterre aura néanmoins fort à faire lors de son déplacement en Irlande pour remporter le Grand Chelem. Le Quinze du Trèfle est certes vieillissant, et le Tournoi actuel marque le net déclin de la fabuleuse paire D’Arcy-O’Driscoll ainsi que d’une partie des avants du Munster. Néanmoins, après dix ans de victoires et de matchs de très haut niveau, l’Irlande a désormais une connaissance intime de ses propres forces et faiblesses, ce qui en fait une équipe dangereuse. La prendre à la légère, c’est s’exposer à perdre, comme l’a appris à ses dépens l’Ecosse (qui avait choisi de titulariser un jeune ouvreur sans expérience, lequel était passé à côté de son match).

  --  Le Quinze du Chardon a déçu dans ce Tournoi. Nous apprécions le courage de ses joueurs, qui, depuis quelques années, permettent au rugby écossais de ne pas sombrer définitivement dans la plus grave crise humaine et financière de son histoire. Mais en dépit de trois matchs assez serrés (France, Irlande, Angleterre), l’Ecosse a toujours semblé à la traîne dans le Tournoi. Pourtant, des lumières demeurent. Inconnu jusqu’alors, le jeune deuxième-ligne Richie Gray est la révélation des Six Nations, tandis que le nouvel ouvreur Ruaridh Jackson a montré une belle abnégation au combat contre l’Angleterre, rattrapant au passage son match complètement raté contre l’Irlande. La réception samedi prochain d’une Italie en plein élan victorieux sera intéressante à suivre.

  --  Terminons par la plus grande surprise du Tournoi, le Pays de Galles. Après neuf défaites et un nul lors des dix dernières rencontres, les Diables Rouges ont renversé la vapeur et connu trois victoires convaincantes. Le retour de James Hook, titularisé deux fois au poste d’ouvreur, et celui de Jamie Roberts – qui avait disparu de la circulation depuis ses très bonnes prestations avec les Lions britanniques il y a un an et demi – ne sont pas étrangères à cette percée. Le plus étonnant est néanmoins la puissance de ses avants (à suivre, le jeune troisième-ligne aile Sam Warburton), un fait d’autant plus remarquable que le Pays de Galles a perdu sur blessure dès avant le Tournoi ses deux piliers titulaires. Samedi prochain, l’équipe de France aura un adversaire à sa taille pour se racheter de sa défaite en Italie.