mercredi 9 mai 2012

Professionnalisme : premiers effets pervers


      Lu dans le délicieux livre de Denis Lalanne, Le grand combat du XV de France (quand la France fit sa première tournée en Afrique du Sud, dont elle sortit victorieuse) :

« (…) Car les gens de l’International Board, quoiqu’on pense, ne veulent pas ‘snober’ le petit mécano pyrénéen ou le gros viticulteur catalan qui se passionnent pour ce jeu ; ils ont seulement le cher souci de le préserver des propriétaires-maquignons s’entourant à l’ère moderne de fabricants de champions, entraîneurs patentés et techniciens de laboratoire qui pourraient dénaturer le ‘sport-roi’ ainsi qu’il est aujourd’hui advenu de tant d’autres sports qui étaient naguère amusants. Autre chose est de cultiver la tradition du cher vieux ‘football-rugby’. »

Les marchands dans le temple

     Ces lignes ont été écrites en 1958. Les choses ont beaucoup changé depuis. L’IRB s’ingénie désormais à répandre le professionnalisme partout, se couche devant un magnat des médias qui réclame toujours plus de matchs pour la publicité… Il ressemble de plus en plus aux instances dirigeantes du football et des JO, où les affaires ont pris le dessus sur toute autre considération.

  -- Sans vouloir tomber dans le grognonisme automatique, force est de constater les effets lamentables de la professionnalisation du rugby. Le moindre d’entre eux n’est pas la multiplication des matchs, qui enlève l’attrait principal des rencontres internationales.

Mais le plus important est sans doute le moins visible. Fini le « sport de voyous pratiqué par des gentlemen », phrase ressassée, certes, mais qui éclairait en profondeur ce qu’était l’aristocratie rugbystique. Désormais, on forme des bébés rugbymen que l’on suit dès l’adolescence. Tapis déroulé, sans avoir à pratiquer un autre métier que « jouer au rugby » ; les nouveaux joueurs sont devenus humainement quelconques, voire médiocres.
A quoi fallait-il s’attendre d’autre, à partir du moment où l’on donne des fiches de salaire et des points-retraite à ceux qui ne font que pratiquer leur passion sportive ?...  (Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les arbitres sont obligés de parler beaucoup plus qu’avant sur les terrains)

Les affaires contre le rugby français ?

 -- Dans les clubs, l’impact du professionnalisme est brutal. Il existe désormais une saison des transferts, et il n’est pas rare de voir des joueurs changer de ville tous les ans (sauf, évidemment, à Toulouse). Voilà qui éclate ce sport enraciné.

En France, le professionnalisme est – comme la mondialisation – particulièrement violent. Il n’est pas rare que la moitié des effectifs des équipes premières soit étrangère. Certains clubs lancent même des partenariats avec les îles du Pacifique, où, pour une bouchée de pain, l’on peut dégoter des colosses talentueux. Ils essayent de fidéliser au plus jeune, affirmant (mais y croient-ils vraiment ?) que le sentiment d’appartenance à un club peut être aussi fort que l’appartenance à un peuple.

Politique déracinée de gestionnaire, qui est bien plus avancée dans notre pays qu’elle ne l’est en Grande-Bretagne ou dans l’hémisphère sud...

 -- L’argent étend ses ramifications partout. L'ex président de la Ligue nationale – l’homme d’affaires Serge Blanco – ne vient-il pas de déclarer que, au cas où il prendrait la tête de la Fédération française, il interdirait à des clubs de monter dans le top 14 s’ils n’avaient pas un budget minimum, ainsi qu’un stade moderne avec un certain nombre de places ?

On a laissé les marchands entrer dans le temple ; il va bien falloir, un jour, songer à les en déloger…